Lundi 15 avril

Posted By: Gabriel Feret In: Journal d'un libraire On: mardi, avril 16, 2024 Hit: 28
Avec le week-end ensoleillé, les clients ont boudé leur écran et la lecture : j’ai peu de colis à emballer. Puis les commandes tombent, quatre coup sur coup. A la pause, à midi, un message arrive sur mon téléphone, venu de l’autre côté des montagnes. Presque deux semaines que je n’avais pas de nouvelles. Elles arrivent, finalement, quand je ne m’y attends pas, comme un souffle chaud dans mon quotidien mécanique, qui se colore alors et justifie la vie, chaque fois. Quelques minutes et la voix s’en va, brutalement, jusqu’au prochain miracle. Il pourrait se passer des semaines. Je l’accepte. 
A la poste avant la levée, je passe ensuite à la mairie récupérer ma carte d’identité. Deux jours que les robots du site américain bien connu ont suspendu mon compte. Le pire a été évité, je vais pouvoir m'identifier. En fin d’après-midi, je finis les colis à livrer demain en boutique relais. Je reprends le livre de BG, que j’avais laissé de côté. Le livre est truffé de références, comme souvent, les livres d’universitaires, ce qui montre que BG lisait beaucoup, mais BG montre aussi un beau talent d’écriture. Humblement effacé derrière ses illustres pairs, il développe son idée (un schème, dit-il modestement) de « Maison des philosophes », maniant intelligemment les concepts des autres, comme ceux qui tournent autour de « l’habiter ». Je retrouve l’aisance de mon professeur pour l’étymologie grecque et me souviens comme son cour, à partir d’un mot, au centre du tableau, s’étendait pour deux heures de ramifications. Lui aussi habitait la philosophie et la philosophie l’habitait. Je ne sais pas si l’alcool aura causé son décès. Mais j’aimerais ne plus boire moi-même, ne plus verser dans ses périodes de migraines et de déprime en les soignant par l’excès, l’oubli. Boire serait comme écrire, mais écrire à personne - jeter des mots et des idées dans le vide ou les cracher dans le goulot. Le lendemain, il n’en reste rien. BG, lui, aura laissé ses quelques livres et articles. Je ne sais pas si, comme on le dit de W. Faulkner, il ralentissait sa consommation pour écrire, ou si même il y renonçait. Dans la pratique dionysiaque, il est sans doute le beau geste de l’inutilité, les mots s’évaporent comme d’une bouteille toujours ouverte - et l’idée de geste comptait pour BG. Mais reste le prix à payer des lendemains difficiles. Il est temps, à mon âge, de comprendre que je ne suis pas ce genre de poète. 
Après ma lecture, un repas frugal, je travaille jusque tard devant mon ordinateur.