Je termine mes colis avant midi et les expédie en début d’après-midi avant de partir pour KB. J’ai pris un peu d’avance pour prévenir les risques de route chargée, mais la circulation est fluide. Je trouve même une place de stationnement assez facilement. Il semble que les touristes étrangers désertent peu à peu les lieux, surtout des espagnols à ce qu’on m’on dit. L’heure est au bilan, c’est le dernière fois de l’année que je me rendrai ici. Je pense à la maison, qui devrait me revenir dans quelques semaines. Elle me ressemble, se confond avec mon corps, ses murs m’épousent comme une seconde peau. J’aurai à la soigner, et nous vieillirons ensemble comme un seul homme. Nous avons presque le même âge, après tout, à un an près. Ma grand-mère l’a habité 43 ans, dont 37 ans, seule. Je repars le coeur léger, les jambes un peu alourdies par une faiblesse au genou gauche qui persiste. La maison prendra soin de moi. Je retrouve les chiens au crépuscule, avec qui je pars par le pré, puis les remparts. M traîne un peu, reprendrait aisément le chemin de la maison, qui l’accueille volontiers aussi, la reconnaît comme l’un des siens. Je m’installe au bureau, saisit quelques BD de M. C, pendant que les chiens s’agitent avec une balle. Le lot de M. C n’est pas vraiment intéressant, mais « je fais mon travail » comme dirait P. J’écoute une émission sur le métier de libraire conseillé par XH, une émission sur France Snob, dit-il. Je suis peu enthousiasmé par le discours plein d’angélisme concernant le commerce du livre. On appelle « métier de création » le fait de montrer et d’orienter les choix du lectorat, on donne « des ordonnances » aux maux quotidiens, soignés par le livre. Cette novlangue cache en réalité un geste à mon sens très politique, et le pouvoir en a bien compris la portée et les risques. Le discours qui ramène le livre à un objet, la lecture à une activité, bonne en soi m’a toujours semblé suspect. Que fait-on de tous ces livres qui ont emmené les foules au pire ? Hier soir, j’étais justement invité chez XH et sa compagne P, avec qui nous avons traîné des conversations inquiètes, mal dissimulé notre désappointement. Je ne suis pas reparti tard, dans la nuit noire, ai retrouvé A et M plongé dans le sommeil, mais heureux de sortir dans le froid, avant que la maison nous offre chaleur et repos, tous blottis poitrine contre poitrine.