Jeudi 21 mars

Posted By: Gabriel Feret In: Journal d'un libraire On: vendredi, mars 22, 2024 Hit: 18

Je me réveille à 9h avant que le réveil ne sonne alors que je me suis endormi à plus de 3h du matin. Je tente de rattraper le décalage trop pesant de ma vie nocturne. Peu de commandes encore, je règle la corvée des colis avant midi. Une employée de R, très gentille, me donne un rendez-vous le lendemain pour le renouvellement de ma carte d’identité. Elle comprend l’urgence professionnelle : il ne s’agit pas d’un renouvellement en projection d’un voyage touristique. Après mon travail de saisie de stock, très tôt achevé également, je pars pour KB sous un grand soleil, puis, de retour, m’occupe de tâches administratives pour l’association. Les prochaines dates d’événements arriveront vite maintenant. Quand la nature se réveille, me voilà tourné vers la saison des marchés et des salons. Je tente une pause pour lire un peu, mais suis-je assis que le téléphone sonne et les messages pleuvent. SH me demande des précisions sur la fin de la réunion de l’association l’autre soir. Elle me demande aussi des copies des anciens procès-verbaux d’assemblées générales passées, pour rédiger la sienne. A la mort de JAC, les archives ont mystérieusement disparu, du matériel également. Je passe d’autres coups de téléphone, à PC, à J. Alors CM, qui m’avait prévenu d’une succession de livres m’envoie quelques messages. La fille du disparu vide l’appartement tandis que CM donne de son temps pour l’aider, l’héberger. L’affaire, malgré tout, s’engage mal pour moi : cette dame se méfie, craint l’arnaque. Je sens que mon amie est agacée, touchée aussi. L’homme était un ami, elle en conçoit en grand chagrin. Nous partons alors dans une conversation, à laquelle je ne m’attendais pas, alors qu’elle se tient de l’autre côté des montagnes et du temps. CM a passé 40 ans, comme moi, mais j’oublie, je la vois encore toute jeune et amoureuse de FB. Elle aussi pourtant se retrouve orpheline de certaines figures tutélaires, dans une solitude épineuse, poisseuse. Je tente de la rassurer. S’en suit une discussion philosophico-spirituelle un peu brouillonne, parfois obscure. L’errance métaphysique, l’isolement spirituel et, a contrario, la recherche d’un amour pur et d’une authenticité parfaite de sens m’apparaissent comme des traits marquants de ma génération. J me disait qu’en matière spirituelle, aujourd’hui, chacun fait son petit plateau de fromages. C’est pourquoi nous ne pouvons que nous manquer, nous éloigner et nous retrouver dans un silence pesant. On peut investir le champs du fantasme, de l’imaginaire, se construire un monde, dans lequel, par exemple, les livres seraient assez sacrés, les mots, le logos assez puissants pour occuper l’espace. Je n’en demeurerais pas moins seul. Je propose à CM de remettre l’entretien, de s’écrire pourquoi pas. La fatigue se fait sentir, mais j’ai à travailler encore. Plus tard, un message tombe dans ma boite, timide, quelques mots à peine, comme un mince filet de voix, lointain, perdu et s’évanouit : ma réponse est laissée lettre morte.