Mardi 3 juin 2025

Posted By: Gabriel Feret In: Journal d'un libraire On: mardi, juin 3, 2025 Hit: 11
Je me lève tard, mais je m’étais couché de même. Le sommeil persiste avec des rêves absurdes, répétitifs, se mêlant à la réalité, aux allers et venues de M sur le lit. Je déjeune après la balade matinale, descend au sous-sol m’acquitter de trois colis. XH appelle. Il n’a pas pu venir à M samedi dernier, puisqu’une migraine terrible l’a saisi dans la nuit précédente. Je le sens abattu, il me dit même qu’il en pris un coup au moral du fait, peut-être, du traitement puissant qu’il a dû s’administrer à regret pour calmer sa crise. J’ai souffert moi-même d’une migraine légère samedi, lui dis-je, mais je m’empresse de préciser que ça n’avait rien à voir. Le soleil a tapé sur la place brutalement ce jour. J’ai un peu échangé avec mon voisin, BD, éducateur de métier, mais artisan du dimanche, ce qui ne lui permet certainement pas de vivre. BD confectionne des stylos en bois qu’il tourne lui-même sur ses machines. Il a toutes sortes d’idées, à partir d’épis de maïs, de noyaux d’olives ou d’écorces de fruits secs pris dans la résine, de pieds de vigne… J’ai découvert un type sympathique, ouvert et cultivé, plein d’humour. Dans l’après-midi, il m’a présenté un stylo qu’il avait fabriqué en reproduction de la maquette du dernier livre du journaliste Nicolas Demorand. Ce dernier a produit un petit témoignage de l’expérience de sa maladie mentale, un trouble bipolaire. BD m’affirme qu’il a envoyé le stylo à l’auteur. Je dis que je trouvais le geste de Nicolas Demorand courageux, d'aller « avouer » sa maladie au devant des médias. « Avouer ? » me répond BD, « Si on parle d’aveu, c’est déjà un problème… » Je me suis donc empressé de me reprendre. Je ne sais pas si BD avait lui-même quelque chose à « avouer », peut-être. Mais s’il savait. Mon passé aurait-il été à ce point englouti que mes mots se tordent ? D’ailleurs une grande partie de ma vie a tourné autour de cet aveu. Plus tard, d’ailleurs, au moment où EH s’en allait et que je lui demandais des nouvelles d’AS, elle me confierait qu’il a stoppé son traitement. « J’étais tombée amoureuse d’un type que je pensais particulier » me dit-elle, « Tu te rends compte ? Quand il était jeune, il a passé plusieurs jours dans une voiture seulement pour lire, je trouvais cela hors norme. » Triste, aidée par des pilules également, voudrait-elle me dire qu’elle comprend qu’il s’agit d’une maladie ? Un jour, je leur avais parlé de mon cas, à tous les deux, quand les crises d’AS ont commencé à prendre de l’ampleur. Aveu ne me semble pas un si mauvais mot finalement. Ou confession. La pression sociale est telle que les frères et soeurs à mème d’envisager le vertige du gouffre cherchent à se reconnaître. Quant au mot maladie, il aura toujours eu du mal à entrer dans mon lexique. Et mon visage ne montre plus, il a renfermé les stigmates et les pièges. Des années il me semblait qu’il suffisait de me regarder pour que mon malêtre saute à la gueule, comme dans un livre ouvert. Un mauvais livre, souvent chargé de pathos inutile. 
Après mon passage à la poste, je travaille sur des questions d’organisation pour l’événement de S qui aura lieu dans moins de deux semaines. Je commence à réfléchir sur le plan d’implantation, élabore une promotion plus appuyée, passe divers coups de fil. Avec M, nous partons en promenade par le pré. Je me demande si j’apercevrai le gars croisé hier. Il jouait un blues à l’harmonica à son petit chien, frétillant et heureux. Mais non, nous rentrons. Je lis un peu le cours de Deleuze sur Spinoza, interrompu par un appel de PM. En soirée, je saisis ma livrée quotidienne en stock.