Des nouvelles d’EB dans la nuit. Elle traîne des problèmes de santé préoccupants. Il y a trente ans que nous nous sommes aimés, séparés, que ma vie fut bouleversée. Avec le mal qui me rongeait, j’appris aussi à aimer les livres, à côtoyer les écrivains comme de fidèles amis. EB s’est montrée tendre. Elle me dit un jour qu’elle n’avait pas cessé de m’aimer, et quelque part, je garde aussi de l’amour pour elle. Mais nous sommes si étrangers. Et je suis devenu autre, radicalement autre. Quoique je garde peut-être des traits insoupçonnés de moi, immuables, ce qu’elle voyait en moi à l’époque et que je suis incapable de reconnaître. Une personne garde, même à ses yeux, une part mystérieuse qui la compose entièrement, qu’on ne saurait qualifier, ne saisir que par bribes ou éclairs. Certains traits nous sont obscurs et visibles par l’autre, d’autres ne nous sont connus que de nous seuls, ce qui entraîne que nous aimons ou haïssons sans en déterminer véritablement les raisons, ou en nous en inventant, sous couvert d’objectivité. Le désir même, de surcroît, peut se passer de raisons. On lui en donne le droit.
Longtemps après qu’EB m’ait quitté, j’ai traîné un vieil amour pour elle, sans doute même après avoir rencontré C. Tout cela a été remisé au placard de ma mémoire, les amours d’EB, de C, de J, les petites aventures déçues avec. Tout cela me semble loin. Il n’y qu’un amour fantasmé pour Elle, qui vit comme à côté de moi, usant mes sentiments comme un remède nécessaire aux envies de peau, de mots doux et de parfum. Remisé, cet amour-là, comme les autres sont soldés, comme si je cherchais à me débarrasser de ces histoires, comme on arrêterait de boire ou de se droguer à un produit en particulier. Il y aurait certainement à dire sur une forme de romantisme de ma génération, de toutes ces histoires particulières, qui ne réclament au final qu’un peu d’amour. Cependant, toutes, elles aussi, ont leurs traits, leur singularité cachés. Les trajectoires que l’on trace ensuite sous le coup de l’histoire, des histoires, en égarent généralement la teneur, perde de vue leurs mystères. C’est presque par un effet semblable qu’à l’âge de 17 ans, je m’amourachais des livres, je marchais mes premiers pas, sans le savoir, dans la République des Lettres. Toutefois, cet amour ne m’a pas quitté. Il provoque encore des bouleversements en moi, sans que je puisse considérer la relation, a posteriori, comme une histoire parmi d’autres, pathétique et banale.
Je me lève en milieu de matinée. Avec M, nous poussons la promenade matinale jusqu’au salon de toilettage. En en ressortira rajeunie. J’expédie mes quelques colis, qui s’ajoutent à ceux que j’avais laissé de côté hier. Je m’allonge, m’assoupis assez profondément pour croire me réveiller alors que je suis encore en plein rêve. En soirée, j’arriverai à saisir deux lots de livres, ce qui rattrape, pour partie, mon inactivité de la fin de semaine dernière.