Lundi 4 mars

Posted By: Gabriel Feret In: Journal d'un libraire On: lundi, mars 4, 2024 Hit: 19

Je me suis pas endormi cette nuit après 3h du matin, après l’agitation du week-end. Le réveil  du téléphone sonne et XL appelle quelques minutes plus tard pour venir me livrer les sacs en papier, les nappes utilisées dans les salons que je stockerai à la maison. Je l’invite lui et CB à boire un café avant qu’ils descendent à L pour récupérer des livres. XL est satisfait du salon de C, les libraires ont donné des avis encourageants, malgré les améliorations que nous devons envisager. Dès vendredi, je me suis rendu compte que l’ambiance avait changé au regard de l’édition de l’an passé, et que l’affluence était meilleure. J’ai retrouvé P sur son stand, à qui j’ai confié deux livres. J’ai aussi vendu deux livres, l’un du poète Yvan Goll, avec envoi de l’auteur et l’autre de l’illustratrice Véronique Filozof, également avec envoi, à JMB, heureux de ses acquisitions. La recette m’a permis d’acheter trois livres avec envoi du philosophe Jacques Derrida. Puis l’après-midi s’est passée en échanges chaleureux avec des collègues, lesquels, pour certains, je n’avais pas revus depuis l’an passé. En soirée, nous avons dîné P et moi avec quelques-uns d’entre eux dans un restaurant de la vieille ville. RC et PAY parlaient de leur voiture, des jaguars. Libraire important, RC a participé à des salons partout dans le monde, Francfort, Londres, New York, mais je n’ai ressenti aucune condescendance de sa part pour le petit bouquiniste que je suis. Il a bu ses quelques bières en plaisantant avec PAY qui racontait une anecdote salace sur Jean Cocteau, mais ce sont les mêmes blagues qui reviennent dans sa bouche. Elles concernent un auteur et son rapport au sexe. P m’a déposé devant mon véhicule et je l’ai guidé jusqu’à la maison. Nous avons encore siroté du vin blanc en parlant jusque tard dans la nuit. Le lendemain, il était déjà parti au salon quand je me suis levé. J’avais les cheveux qui tiraient un peu. J’ai édité mes commandes, proposé à P de le remplacer pour qu’il puisse déjeuner tranquillement. Je suis donc parti plus tôt que je ne le prévoyais au salon, que j’ai visité une nouvelle fois. On dit souvent dans le métier qu’une visite ne suffit pas, tant on se trouve saturé par l’attention portée aux livres, au bout d’un moment. J’ai rejoint DM à son stand, qui avait relié pour moi une édition XVIIIè de Emile ou De l’éducation de J.-J. Rousseau, curieuse édition non officielle de la même année que l’originale. J’ai ensuite retrouvé XH, de visite dans le salon. Nous avons bu une bière (chose rare pour moi) dans un café jusqu’à l’heure de l’assemblée générale de l’association. Nous sommes tous ensuite partis dîner au restaurant, où l’ambiance était détendue et conviviale. Comme la veille, j’ai mené P chez moi, pas mécontent de son salon. Nous avons encore liquidé une bouteille de vin blanc avant d’aller dormir. Dimanche matin, il a passé la tête dans l’embrasure de la porte de ma chambre pour me dire au revoir. Avant de se coucher, il me citait un client regardant un livre ancien relié plein maroquin, parfait état, et s’adressant à sa voisine : « Regardez, c’est plus beau qu’une femme. » Ce matin, je me sens donc plus seul qu’à l’accoutumée, après ces nombreuses rencontres, cette émulation, et M est repartie elle aussi. Le silence m’étonne. Je repense à ce sympathique week-end, en confectionnant mes colis, l’amitié indéfectible de P, l’association qui reprend vie. Je passe à la poste juste avant la levée et reprends le travail après une pause de lecture et un coup de fil avec AC. Le week-end a éloigné mes pensées de l’idée du temps qui passe et de ce qui ne reviendra plus, du travail pour s’y accommoder. Ma vie ressemble à une idée que j’aurais pu en avoir plus jeune et, sans doute à quelque chose d’heureux, mais l’ombre de souvenirs des temps enfuis, morts, vient refroidir la couleur de la toile.