Patrick Mauries

Posted By: Gabriel Feret In: Histoire des livres On: mardi, mai 26, 2015 Hit: 1246

Dans Le Vertige, Patrick Mauriès raconte des souvenirs de sa vie (Vous trouverez ici la critique de ce livre dans l'Express du 1er mai 1999, par Pascale Frey). Cet homme, normalien, ne cessa ces dernières années d'exercer une fascination sur moi, tant par ses talents d'éditeur que de collectionneur. Il fonda la maison Le Promeneur, formidable maison, qui intégra vite Gallimard. 

Ce promeneur, le premier, est sans aucun doute P. Maurès lui-même. Véritable chineur de textes oubliés, d'auteurs exigents, Mauriès a le luxe de publier ce qui lui plaît, uniquement ce qu'il lui plaît et cela, bien souvent, nous plaît aussi. Les promeneurs, ce sont donc ensuite nous, les lecteurs, qui suivont à peine le dessin d'un chemin tracé, sur lequel il est admis, sinon fortement recommandé de se perdre. Tous ceux qui voudraient bien suivre Mauriès dans sa promenade iraient alors, souhaitons-le, se promener aussi.

Nous nous promenons donc avec lui dans Paris, ou bien avec Roland Barthes, l'un de ses mentors, dans ses collections, avec par exemple Le cabinet de curiosités, livre pour lequel nous pouvons voir une présentation et une miniscule interview de l'intéressé dans l'émission Un livre Un jour. (A ce propos désolé pour l'inévitable publicité qui précède la vidéo du site de l'INA, elle sert à payer des bureaux ou des notes de taxis à ses présidents...)

 

Mais Patrick Mauriès nous invite à d'autres promenades, en tant qu'auteur cette fois. Dans ses livres, les artistes, les écrivains, les penseurs se promènent avec nous, comme si nous ressentions leur génie et que nous pouvions converser avec lui. L'expression "rencontre d'un auteur" prendrait alors tout son sens. Ainsi, par exemple, dans Nietzche à Nice dans lequel Mauriès réinvente le philosophe français Jean-Marie Guyau, où il nous emmnène, dirait-on, dans les promenades de Nietzsche lui-même, le promeneur relate une hypothétique rencontre entre Nietzsche et Guyau, qui habitait Nice. La rencontre aurait pu avoir eu lieu, dans une librairie de Nice en 1886. On ne sait si la rencontre eut lieu mais Mauriès creuse, il enquête en se fiant à un livre de Daniel Halévy ou à celui d'un certain M. Sérémia, un "érudit local", dit-il, qui écrivit un Saisons niçoises de Frédéric Nietzsche... Mauriès nous promène avec les auteurs, parmi les auteurs, aussi bien et de manière si juste et ciselé qu'on se penserait en leur compagnie. Il nous emmène dans les livres et nous donne l'envie d'aller vers eux, il les humanise et incarne les auteurs assez justement pour que l'on puisse se sentir de leur peau.

 

C'est JMR qui m'amena à Mauriès à l'époque. Lors de nos soirées, il glissait toujours, comme je l'avais dit, quelques suggestions oppotunes : "Vous deviez lire ce petit livre de Patrick Mauriès..." Petit livre pour grands rêves et grands pays à découvrir. Ce genre de conseil n'aurait-il donc pas toute sa place parmi les rayonnages d'une librairie en ligne ? Ne pourrais-je moi-même aujourd'hui tenter d'inviter à ce genre de promenades ? Je citerai donc un extrait de Dans la baie des anges, paru en 2012 chez Gallimard :

" Je ne sais ce qu'il adviendra des innombrables piles de livres dont j'ai encombré, l'un après l'autre, chacun des endroits où j'ai vécu, au point de devoir déménager plusieurs fois, sous leur pression toujours plus insistante, comme le fit De Quincey qui se contentait, lui, de fermer la porte et de n'y plus revenir. Restriction intolérable de l'espace vital pour beaucoup, mais qui le rendait, à mes yeux, au contraire, d'autant plus riche, bruissant du récit de ma vie, comme de celle des autres, de ceux qui auront eux-mêmes tenu et feuilleté ces livres dans les coins du monde les plus reculés, avant qu'ils ne disséminent à nouveau auprès de ces êtres sans visage qui me succèderont. Car, contrairement à ce que l'on assume paresseusement, cette passion n'est pas simple hantise du passé, culte sénile du vieux document, pusillanime valeur de placement, jouisance déplacée des papiers et des encres, sacerdote conservatoire, perversion vieillote, obsolète obcession de l'adolescence ; elle est autant, sinon plus, fascinée - ele est habitée - par les incalculables occasions, par les conflagrations qu'ils ne manqueront pas de provoquer, le traversant d'un souffle, comme ils l'auront fait dans le mien, l'esprit d'un futur lecteur."