François Maspero

Posted By: Gabriel Feret In: Histoire des livres On: jeudi, avril 16, 2015 Hit: 1002

François Maspero est décédé il y a quelques jours. Avec Maurice Nadeau et Jean-Jacques Pauvert, une génération d'éditeurs s'en va, doucement, je ne dirais pas sans faire de bruit, mais peut-être avec un simple un léger bruissement dans l'écoulement de notre quotidien.

Ces trois éditeurs furent trois figures essentielles des lettres françaises durant la seconde moitié du vingtième siècle. Ils participèrent grandement à sa vie grouillante et diverse, au débat politique, à la critique. Combien d'auteurs amenèrent-ils à nos yeux ? Combien d'autres sortirent-ils de l'oubli ? Aujourd'hui, leurs maisons ont été absorbées dans un grand Tout, au fontionnement bien huilé, dans lequel chacun à sa place et où le rendement est passé maître. Bien sûr, tant de petits éditeurs aimeraient faire vivre ces débats, cette vie littéraire intense, mais on ne peut s'empêcher de penser que ces derniers existent désormais dans l'ombre, juste à côté de la grosse machinerie culturelle, administrée et lucrative. 

En ce qui concerne François Maspero plus précisémment, j'avoue que je le connaissais mal, même si j'ai eu souvent entre les mains de nombreux livres édités par sa maison, qui éditait beaucoup d'auteurs politisés, parmi lesquels des marxistes, à tendance même maoïste, comme par exemple Jean Baby. Certains de ces auteurs sont considérés comme un peu dépassés, à tort, sans doute, puisque nombreux sont ceux qui survécurent au catalogue quand Maspero vendit sa maison pour qu'elle devienne Les éditions de La Découverte. 

Maspero avait commencé sa vie pendant la guerre dit-il, même s'il était né avant. Son père, professeur sinologue au Collège de France fut déporté et disparut à Buchenwald. Son frère, résistant, fut tué par en 1944. Sa mère, déportée également, revint du camp de Ravensbruck.

Après la guerre, Maspero ouvrit une librairie rue Monsieur-Le-Prince à Paris et, rencontrant des auteurs, trouvant qu'une offre éditoriale manquait, il ouvrit sa maison d'édition, qui eut un bon succès.

Puis, F. Maspero devint écrivain.

Au moment de sa mort et grâce à la radio, je pus entendre sa voix rire du fait que ses auteurs ou collaborateurs trouvaient qu'il écrivait mal. On ne le comprenait pas très bien, disait-il, on avait souvent à remanier ses écrits. 

Qu'est-ce qui poussa F. Maspero à devenir écrivain ? Ni Nadeau, se décrivant lui-même comme Serviteur ! (Albin Michel) ni Pauvert, qui écrivit sa célèbre anthologie érotique n'avait eu ce fantasme, à ce que je sache. Maspero, à l'aube d'une déjà belle carrière d'éditeur se reconvertit écrivain, et même, de libraire il devint éditeur puis écrivain. 

Je ne saurais alors qu'incorporer ici de mes propres fantasmes ou angoisses : se jugeait-il trop peu sûr de lui pour se sentir écrivain? Il était alors très jeune, né avec un livre dans les mains, né pour "servir" ce monde des lettres. Tant d'auteurs nous accompagnent et nous montrent comme écrire est dur, et, surtout, comme il est difficile de donner un bon texte. Je me souviens de JMR qui disait que certaines lectures sont hypnotiques et rabaissantes alors que d'autres nous donnent nécessairement l'envie d'écrire et je vois donc le petit François tétanisé par les grands hommes des lettres et les géniaux inconnus. Comme il le disait lui-même, il était mauvais élève, peu de personnes croyaient en lui. Voulut-il devenir écrivain parce qu'il pensait qu'il avait quelque chose à dire ou parce que trop de fantômes se promenaient derrière lui ? 

J'imagine ce parcours, comme tant d'autres entre les mots. Je vois ces événements qui font date dans une biographie. je me dis qu'il existe aussi des moments trop sensibles, alors sourds aux oreilles des autres, parfois même invisibles aux plus proches, comme un bruissement dans le cour de notre vie, l'écoulement de notre quotidien. Je me plais à rêver que François Maspero dit un jour à un collaborateur qu'il allait quitter la maison d'édition pour aller faire parler ces moments, leur donner une voix, la sienne et celle des morts, toutes celles qu'il imagine.

 

Bien sûr, François Maspero ne peut répondre à cette question aujourd'hui. Et d'ailleurs, comme je l'ai dit, je connais mal cette oeuvre. Peut-être donna-t-il des réponses à ces question, peut-être en écrivit-il, les murmura-t-il aux yeux des lecteurs. Est-ce quelqu'un saurait ? Je vends ses livres, en tant qu'éditeur et en tant qu'auteur. J'aimerais pour lui que cela continue pendant quelques temps encore.